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Les dieux au Japon

L’Empire du soleil levant est aussi celui du surnaturel

Le Japon, plus que tout autre pays d’Asie, est une terre de mythes et de légendes. Les créatures surnaturelles, démons, esprits et fantômes y côtoient les hommes depuis des temps immémoriaux. Ils font partie du quotidien et le goût très prononcé des japonais pour les technologies de pointe et le modernisme n’y ont rien changé. Même l’Empereur lui-même est considéré comme un dieu bien qu'il soit le premier à s’en défendre. Ces croyances ont la peau dure et sont parfaitement intégrées au fonctionnement normal de la société. Elles sont issues de plusieurs sources religieuses et de plusieurs zones géographiques et périodes historiques. Le panthéon japonais est un des plus complexes, un des plus fournis et un des plus vivaces du monde. Même encore aujourd’hui la culture populaire japonaise, amplement publicisée par les mangas, fait la part belle aux déités et aux démons de toutes sortes, encore qu’ils aient souvent troqués leurs anciens pouvoirs magiques pour de contemporains rayons de la mort.

Un panthéon formé au fil des religions

Comme tous les peuples, les habitants originels du Japon étaient sans aucun doute animistes. Leur vie était calquée sur celle de la nature, ils en subissaient les influences bonnes ou moins bonnes. En l’absence de toute science il était certainement rassurant pour les Anciens d’attribuer des pouvoirs surnaturels aux éléments, souvent déchainés, qui ne manquaient pas de rythmer leur existence. La nature japonaise était alors peuplée de fauves redoutables et bien sûr déjà malmenée par les tremblements de terre, les typhons et autres tsunamis.

Puis vint le Shinto, que l’on peut traduire par « la voie des dieux » ou « la voie du divin ». Importée par les coréens et les mongols durant la période Yayoi, de 400 à 250 avant notre ère, elle introduit des préceptes à la fois animistes et polythéiste. Considérée comme croyance ou même religion elle amène aux japonais le concept de Kami. Ce sont des esprits et des divinités encore vénérés de nos jours par 100 millions de japonais. Malgré l’introduction du bouddhisme venu de Chine au VIème siècle les Kami continuent à habiter l’âme du peuple japonais toujours très proche de la nature. D’ailleurs le concept de Kami s’est étendu à d’autres divinités japonaises comme le Bouddha et même au Dieu du Livre.

Au commencement furent les Kami

Les Kami sont omniprésents au Japon. Au commencement furent Kotoamatsukami, les premiers Kami apparus au moment de la création l'univers. Ces premiers dieux naquirent à Takama-Ga-Hara, le monde du ciel du début des temps. Izanami, la première femme et Izanagi, le premier homme vécurent bientôt au rythme de Amaterasu, la déesse du soleil et de Tsukuyomi, le dieu de la lune. Saruta-hiko, le dieu de la terre et Inari, le dieu du riz assurèrent leur subsistance et les agissements de Uzume, la déesse de la gaieté, les remplirent de joie. Malgré les conseils avisés de Omoikane, la déesse de la sagesse, ils ne purent échapper au courroux de Hachiman, le dieu de la guerre, qui œuvrait de concert avec Shinigami, les dieux de la mort. D’autant que les forces de la nature comme Susanoo le dieu des mers et de la tempête, Raiden les dieux du tonnerre, Fujin les dieux du vent et Ryūjin, le dieu dragon de la mer et des éclairs ne leurs laissait pas de répit. La vie était dure mais pourtant belle au Japon d’antan.

L’histoire des premiers Kami homme et femme, Izanagi et Izanami est très particulière. Ils sont descendus de la Voie lactée pour créer les îles de l’archipel du Japon. Tous leurs enfants furent également des Kami, ceux de la nature, notamment l'eau, le vent, les arbres, les rivières, les montagnes et bien d’autres. Izanami mourut en enfantant le dieu du Feu. Son mari Izanagi l’assassinat et rejoignit son épouse aux enfers. Sa femme, fort mécontente l’en fit chasser. Le pauvre Izanagi ne dut sa survie qu'en jetant derrière lui des peignes, des pêches et une grosse pierre qui entrava la course de ses poursuivants. Dès lors séparés Izanami eût le terrible pouvoir de tuer chaque jour mille êtres humains et Izanagi celui d'en faire naitre mille cinq cents. Après s’être purifié des souillures conséquentes à son passage aux enfers, Izanagi donna la vie à d'autres Kami. Ce fut notamment Amaterasu, déesse du Soleil, qui apparut de son œil gauche. De son œil droit, sorti Tsukuyomi, dieu de la Lune et de son nez, Susanoo, le dieu de la Tempête. Les tragédies grecques sont largement dépassées.

Izanami et Izanagi par Kobayashi Eitaku (v. 1885)

Le bouddhisme japonais accapare les Ashura

Après les Kami, synonymes de l’éveil spirituel de l’Ancien Japon, les Ashura bouddhistes font leur apparition au panthéon. Ils puisent leurs origines dans une tradition encore bien plus ancienne, celle de l’hindouisme. On les décrits comme souvent néfastes voire belliqueux mais en fait il n’en n’est rien. Comme tous les Yokai, créatures surnaturelles japonaises, leurs actions sont souvent empreintes d’ambiguïté et laissent le champ libre à une interprétation qui peut être contradictoire. Le nom même de A-Sura signifient implicitement qu’ils se démarquent (préfixe « A » au sens de « pas » ou « sans ») des autres divinités (Sura).

Les Ashura japonais sont des guerriers armés jusqu’aux dents aux visages et aux bras multiples. Ils sont morts au combat et devenus gardiens de la loi bouddhique. Les Ashura sont des Yokai qui vivent sous terre et dans les abysses. Tous les Ashura ne sont pas belliqueux. Pour preuve il existe une célèbre statue d’Ashura au temple Kofuku-ji de Nara. Elle figure un Ashura qui joint deux de ses multiples mains en arborant un air serein. Les Ashura vivent dans le monde, ou la voie, de l’ashurado. C’est l’un des six qui sert à la réincarnation de l’homme. Le rokudo qui regroupe ces six mondes ou ces six voies exprime la diversité des tourments physiques et spirituels qui sont imposés par la réincarnation telle que décrite par le Bouddha et conséquente au karma de tout un chacun. On y retrouve Jigokudo la voie des enfers, Gakido la voie des Onis affamés, Chikushodo la voie des bêtes sauvages, Ashurado la voie des Onis belliqueux, Ningen Do la voie des hommes et Tenjokai celle du monde céleste.

Les créatures surnaturelles du folklore

Les Yokai sont des esprits, des fantômes, des démons ou des apparitions étranges qui peuplent le bestiaire surnaturel du folklore japonais. Ces « monstres bizarres », c’est la traduction chinoise, sont tour à tour des calamités et des apparitions. Ils peuvent être attirants, ensorcelants, mystérieux et méfiants. Un synonyme de Yokai est Mononoke. Il a été rendu célèbre par l’anime Princesse Mononoke. Ce mot décrit un phénomène inexplicable dont les humains, les créatures surnaturelles et même les objets inanimés peuvent à la fois en être la source et la victime.

Il existe un grand nombre de Yokai, ils peuvent même être d’origine occidentale où ils se rapprocheraient de nos farfadets par exemple. Chez les animaux on retrouve Tanuki et Inugami les chiens, Kitsune le renard, Hebi le serpent, Mujina le blaireau, Bakeneko le chat ainsi que Tsuchigumo et Jorogumo les araignées. Cette grande tribu mythologique comprend aussi les redoutables Onis, des ogres descendus des montagnes. Ils ont une peau qui peut être rouge, bleue, marron ou noire. Leur tête est ornée de deux cornes et leur bouche est remplie de crocs. Ils portent pour seul vêtement un pagne en peau de tigre et sont armés d’une masse géante. Les Yokai Tengu ont subi une évolution radicale. Ils sont passés au fil des siècles du statut de démons extrêmement dangereux, ennemis du bouddhisme et esprits damnés à celui de défenseurs du Dharma, l'ensemble des lois sociales, politiques, familiales, personnelles, naturelles ou cosmiques définies par le bouddhisme.

Les tsukumogami sont les plus curieux des Yokai, ce sont des objets domestiques qui prennent vie lors de leur centième anniversaire. On peut y compter les Bakezōri sandales de paille, les Burabura lanternes en papier, les Kasa-Obake vieux parapluies, les Kameosa vieilles jarres de saké et même les Morinji-no-Kama qui sont des bouilloires. Les plus effrayants sont les Mokumokuren. Ils sont les écrans de papier qui cloisonnent les maisons traditionnelles japonaise, mais avec des yeux. Attention, les être humains qui ont été victimes de troubles, comme les femmes excessivement jalouses, peuvent devenir des Yokai. Dans ce cas précis elles se transforment en Oni, des démons femelles redoutables. Le Rokuro-Kubi est capable d'allonger son cou durant la nuit. Le Ohaguro-Bettari est un spectre féminin dont on aperçoit seulement la grande bouche noire et cruelle, sa comparse Futakuchi-Onna, a une gueule monstrueuse derrière la tête. Le triste Dorotabo est le cadavre d'un fermier qui hante sa pauvre terre.

Comble du mystère et des manifestations surnaturelles de la démonologie japonaise certains Yokai peuvent être frappés de lubies ou de névroses qui les caractérisent. Le Azuki Arai sera toujours en train de laver des haricots Azuki et le Akaname se trouvera seulement dans les salles de bain mal entretenues où il lèche les salissures des habitants en panne d’hygiène. Le Ashiarai Yashiki demande aux propriétaires des maisons de laver son énorme pied et le Tofu-Kozo est un petit moine qui trimballe un plateau garni d’un morceau de tofu. Comme c’est étrange… Cette frappante singularité des Yokai est aujourd’hui une source inépuisable d’inspiration pour les créateurs de mangas qui perpétuent, à leur manière, ce surréalisme spirituel si indissociable de l’âme japonaise.

 

Un archipel riche de contes et légendes

En plus d’un panthéon et d’une démonologie très riche, le Japon a depuis toujours été une source intarissable de contes et légendes tous très merveilleux, fabuleux, mystérieux et souvent effrayants. Ils sont cependant souvent d’origine étrangère, la plupart étant nés en Chine ou en Inde, en provenance du Tibet de la Birmanie ou de la Corée. Ils ont tous été complètement intégrés à la culture japonaise qui a fini par se les approprier. Les contes bouddhistes ont tous été adaptés. Les légendes provenant d’Inde, comme celles qui concernent des animaux comme les singes ont été repris, tout comme ceux, Chinois, qui évoquent des voyages en occident. Cela peut d’ailleurs paraître assez incongru puisqu’alors le peuple de l’archipel n’avait pas encore eu de contacts avec les longs nez, autrement dit les occidentaux.

Il existe quand même des contes et légendes d’origine purement japonaise. Ils ne sont que de deux sortes : ceux qui remontent à l’époque Yayoi de l’arrivée du Shinto, soit environ 1200 ans avant le développement du bouddhisme au Japon, et ceux du Moyen Âge japonais. Le Shinto accordant un intérêt tout particulier à la création du monde, les contes et légendes produits à l’époque Yayoi relatent largement ces faits sacrés. C’est le cas bien sûr du conte dit de « La Création du monde et du Japon » et de l’histoire du premier homme et de la première femme dans « La Descente aux Enfers ». On citera aussi les célèbres contes « Le Dragon d'Enoshima » et celui d’« Urashima Taro, le pêcheur qui sauve la vie d'une tortue et visite le fond de la mer ». Le folklore japonais a réparti les comptes en plusieurs catégories. Ce sont les mukashibanashi ou contes très anciens, les namidabanashi ou contes tristes, les obakebanashi ou contes de fantômes, les ongaeshibanashi ou contes sur les récompenses en remerciement d'une faveur, les tonchibanashi ou contes pleins d'esprit, les waraibanashi ou contes humoristiques, et enfin les yokubaribanashi ou contes de cupidité.

Les contes et légendes japonais moyenâgeux ressemblent beaucoup à nos épopées héroïques relatant de hauts faits d’armes souvent réalités historiques. Ils font également état d’aventures de célèbres moines bouddhistes ou de personnages de haut rang à la cour impériale. Les contes bouddhiques les plus connus sont « Les arbres-nains », « Les six Jizô » et « Le spectre du bonze ». Il existe même une légende confucéenne « Komatzu Seichi, un modèle de piété filiale ». Les contes et légendes du moyen-âge sont devenus de grands classiques. On y retrouve notamment « Le Sacrifice de Nakamitsu », « Méduse et le Singe », « Les Deux daimyôs et leur serviteur » ou le très fantômatique « La Mouche d'Himeji ou le Fantôme d'O Kiku et les Neuf assiettes », également connu sous le nom de Bancho Sarayashiki. C’est de loin le plus populaire, même de nos jours. Il relate la vie il y a environ 200 ans d’un chef de la police, Aoyama Shuzen, qui habitait la rue Bansho à Edo. Il repérait les voleurs et les pyromanes. Il était réputé violent, cruel, sans cœur ni compassion. Pour punir cruellement sa servante qui avait cassé des assiettes, il l’enferma dans une armoire et lui coupa les doigts. Celle-ci se suicida en se jetant dans un puit et revint le hanter chaque nuit en comptant à haute voix les neuf assiettes cassées puis en pleurant.

Six statues de Jizo

Le rôle autrefois divinisé de l’Empereur

Le tour du riche imaginaire spirituel et surnaturel développé par le peuple japonais ne serait pas complet sans une mention faite du rôle important tenu par son empereur. Deux livres d’histoire, le Kojiki de 712 et le Nihon Shoki de 720 retranscrivent la fondation mythologique du Japon ainsi que l'origine de son premier empereur. Il s’appelait Jinmu et vécu aux environ de l’an 660 avant notre ère. Il descendait de la déesse Amaterasu, divinité du Soleil, créée seulement cinq générations avant lui. Cela explique l’usage des expressions « demi-dieu » et « dieu vivant » pour désigner l'Empereur du Japon.

Si depuis la fin de la seconde guerre mondiale l’Empereur du Japon n’occupe que des fonctions purement représentatives et culturelles, ses fonctions religieuses sont toujours importantes. C’est avant tout le Prêtre Suprême du shintoïsme et il préside à ce titre à plus de vingt cérémonies religieuses dans les trois temples, Kyuchu-Sanden, du palais impérial. Le temple Kashikodokoro est dédié à Amaterasu, la déesse de la famille impériale. Le temple Kôrêden est celui des empereurs antécédents. Il est aussi celui des membres défunts de la famille impériale. Le temple Shinden est celui où résident tous les dieux du Japon. Les prières de l’Empereur du Japon et de la famille impériale sont destinées à accroitre le développement et le bonheur de tous les Japonais. Gageons qu’avec un tel soutien ce magnifique peuple vivra longtemps à l’abris des démons qui le guettent et qu’il perpétuera éternellement sa tradition mythologique si particulière et ô combien envoûtante.

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