AtJapan

Paramètres

X

Ukiyo-e

Ukiyo-e

Ukiyo-e, « image du monde flottant », telle est la traduction littérale mais ô combien poétique que les occidentaux ont donné à un mouvement artistique japonais exceptionnel et toujours autant admiré. Autrefois appelées estampes Japonaises par les collectionneurs, les productions de cette école nippone regroupent certes des estampes gravées sur bois mais aussi toute une gamme de peintures naïves et narratives d’origine populaire. Cette sorte de nouvelle vague qui fit la joie des japonais aux 17ème et 18ème siècles est certainement annonciatrice d’une autre, bien plus contemporaine. C’est celle des mangas, désormais universellement feuilletés et collectionnés, que l’on trouve à profusion avec d’autres livres plus rares dans le quartier de Jimbocho.

L’avènement d’un art lié à l’histoire du Japon

L’apparition sur la scène artistique japonaise du Ukiyo-e est intimement liée à la prise du pouvoir par le fameux shogunat Tokugawa. Cette dynastie de shoguns qui dirigèrent le Japon de 1603 à 1867 est aussi appelée époque Edo. C’est en effet le nom de la ville dont ils firent leur capitale, Edo, appelée Tokyo de nos jours. En remportant la bataille de Sekigahara en 1600 Tokugawa Ieyasu, une fois nommé Shogun, instaura un système féodal, celui des Samouraïs. Il remplaça celui des castes qui provoqua de nombreux conflits et généra beaucoup de misère. Cette période précédente fut d’ailleurs qualifiée de Sengoku, celle des « nations en guerre ».

Durant le shogunat Tokugawa le Japon connu une période de relative stabilité et il est certain que cela ouvra la voie au développement de moyens d’expression artistique nouveaux voire novateurs. L’estampe gravée sur bois et reproduite sur papier permis à l’art de quitter le seul domaine aristocratique, celui des kano notamment, pour faire son entrée chez les classes bourgeoises. L’art du Ukiyo-e se prolongea pendant l’ère Meiji jusqu’en 1912 environ.

 

Des origines chinoise et religieuses aux salons occidentaux

La gravure sur bois est une vieille tradition japonaise, bien plus vieille que l’art du Ukiyo-e. La technique n’a pas été inventée sur l’archipel mais bien en Chine longtemps auparavant. L’Empire du milieu maîtrisait déjà la xylographie notamment pour la fabrication des caractères d’imprimerie. Les premières gravures sur bois au Japon furent des images religieuses bouddhistes. D’après les historiens la première estampe produite fut celle du Sutra du Lotus par le Maître Koei en 1225. Elle fut réalisée pour orner un temple de Nara, capitale du Japon à l’époque. Les xylographies furent ensuite utilisées pour imprimer des estampes religieuses à Kyoto, la nouvelle capitale du 13ème au 14ème siècle.

L’essor de l’art du Ukiyo-e est lié à l’urbanisation japonaise de la fin du 16ème siècle. Elle fut à l’origine du développement d’une classe de marchands et d’artisans, soit l’équivalent d’une classe moyenne de l’époque. De nouvelles disciplines artistiques firent leur apparition comme les ehon « livres d’images » véritables bandes dessinées peintes avant l’heure, des romans et des contes et plus généralement des fictions populaires. Une des œuvres les plus populaires fut sans conteste l les « Contes d’Ise » publiés en 1608 par Honami Koetsu. Les Ukiyo-e s’émancipèrent et s’échappèrent des livres grâce aux ichimai-e, des feuilles volantes, ou bien encore utilisées comme affiches pour le très populaire théâtre kabuki. Elles furent employées pour créer des guides touristiques souvent liés à la découverte des multiples plaisirs sensuels des villes, surtout ceux de l’amour, et même pour créer des catalogues de produits dont celui des teinturiers. Le chef d’œuvre de ces publications hédonistes est une encyclopédie des plaisirs, «Le Grand Miroir de la voie de l'amour » de Kizan Fujimoto.

De façon surprenante l’engouement des occidentaux pour l’art des Ukiyo-e et celui des japonais pour le mode de vie occidental va être une des causes de sa disparition progressive. La relative démocratisation apportée par le shogunat s’est vite accompagnée d’une censure assez virulente qui frappa les artistes et leurs œuvres, lorsqu’ils traitaient trop ouvertement de sexualité en éditant les fameux shunga, ou si elles étaient trop politisées. Les basses classes n’ayant pas à débattre des sujets politiques. L’influence de l’occident était bien sûr vue d’un mauvais œil alors que de nombreux Maîtres y puisaient leur inspiration. Le nivellement par le bas des sujets imposé progressivement par la censure limita rapidement l’intérêt des occidentaux pour le Ukiyo-e pour qui, il faut le dire, l’estampe japonaise était surtout le synonyme d’un érotisme pictural tout autant contrarié chez eux. Les œuvres durent être créées sous forme de rébus dont le contenu était moins intelligible de tous, la censure finit par les interdire eux aussi à la fin de l’année 1796.

L’Ukiyo-e, trois périodes pour un mariage de l’art et de la société

Cet art unique de l’impression d’estampes au moyen de gravures sur bois est le fruit d’un changement prononcé des mentalités. Les japonais, après des décennies de guerres, ont fui les campagnes dévastées pour survivre en ville. Ils y ont découvert des plaisirs jusque là inconnus ou réservés aux élites, l’hédonisme a été érigé en règle de vie.

Dès 1670 le grand Moronobu est crédité de la création des premières estampes. Il fut longtemps confondu avec un autre Maître, Sugimura Jihei, tous deux fondèrent le style particulier du Ukiyo-e dont Iwasa Matabei fut le pionnier. Le genre fut d’abord dominé par les représentations de scènes et d’artistes du théâtre kabuki, forme épique du théâtre japonais traditionnel. Ce genre théâtral a recours à l’exagération des postures, les maquillages y sont très élaborés et les décors sont complexes. Le Ukiyo-e de cette époque, popularisé par Kiyonobu dont le père était lui-même acteur, retranscrit parfaitement les canons du kabuki. Certains artistes comme Hanabusa Itcho se risquent quand même à s’affranchir, avec grand talent, de ce style.

Jusqu’en 1765 environ on assiste à la maturation de l’art avec l’adoption d’une perspective à l’occidentale, d’unun fond contenant du mica ou du laquage des estampes pour qu’elles donnent un brillant qualifié d’urushi-e. Ces évolutions majeures sont dues au grand Masanobu. On utilise des blocs de bois différents pour imprimer en plusieurs couleurs et des nouveaux formats comme le oban et le hashira-e font leur apparition. Les portraits en pieds de courtisanes sont très recherchés. Sukenobu peint les jolies femmes en kimono, les bijin, et inspire fortement le grand Maître Harunobu.

La seconde moitié du 18ème siècle voit l’apparition des « estampes de brocart ». Les sujets inspirés du kabuki sont encore bien présents et l’on considère que c’est plutôt une époque de maturation où des artistes tels que Koryusai, un ancien samouraï, ou Shunsho développent le style et apportent leur pierre à l’édifice artistique laissé par Harunobu. L’âge d’or du Ukiyo-e se déroule entre 1780 et 1810. C’est le règne sans conteste du Grand Maître Kiyonaga avec ses diptyques, suivit de près par Utamaro avec « Promenade nocturne sur la Sumida », Sharaku et « Chasse nocturne aux lucioles » de Choki . De nombreux nouveaux sujets sont abordés, tous évoquent la révolution des loisirs que connaît le Japon de l’époque. Certaines œuvres sont même considérées comme baroques, elles annoncent le déclin du Ukiyo-e. La représentation des femmes privilégie leur grandeur et leur sveltesse et de nouvelles techniques apparaissent comme le gaufrage, kara-zuri, ou le lustrage dit shomen-zuri.

Le déclin d’un art dont les effets se font encore sentir

Entre 1810 et 1868 la perspective à l’occidentale remet en cause les canons du Ukiyo-e. Vers 1831 Katsushika Hokusai publie les fameuses « Trente-six vues du Mont Fuji ». L’expression devient très réaliste. En 1842 les censeurs interdisent la représentation de geishas et même des acteurs. C’est à cette époque que des navires occidentaux abordent les côtes du Japon. Cette ouverture sera malheureusement vite contrecarrée par un puissant sentiment nationaliste qui donnera un coup d’arrêt au Ukiyo-e. Il y eu bien des tentatives de prolongation de cet art avec les mouvements shin-hanga et sosaku hanga. Le courant shin hanga, représenté par les « Trésors nationaux vivants » Ito Shinsui et Kawase Hasui, s’inspira de l’impressionnisme occidental et de l’Ecole de Pont-Aven de Cézanne et Gauguin. Vincent Van Gogh lui-même tomba sous le charme des estampes japonaises qu’il découvrit à Anvers, il en collectionna sa vie durant. Particulièrement impressionné par Hiroschige, auteur des fameuses « Routes du Tōkaidō », Hokusai et Reisei il apprécia particulièrement la simplicité et la fraîcheur de leurs compositions, leurs aplats de couleurs toutes très pures ainsi que la fraîcheur de leurs tons gais.

Le japonisme étant devenu une influence majeure pour Van Gogh, il alla jusqu’à organiser la première exposition française et même européenne de cet art à Paris dans un cabaret nommé Le Tambourin. Même si elle ne rencontra pas le succès financier escompté elle inspirera profondément les membres de l’atelier Cormon. Van Gogh étoffera sa collection qu’il accrochera sans relâche aux murs de ses chambres et de ses ateliers. Il réalisera même plusieurs copies. Le courant sosaku hanga, « estampe créative », connut un vif succès commercial, surtout aux Etats-Unis, mais les artistes se tournèrent dès 1950 vers des techniques occidentales comme la lithographie, la sérigraphie ou l’eau-forte, ce qui sonna le glas de l’Ukiyo-e traditionnel. Cet art perdure au 21ème siècle et inspire fortement les anime et les mangas. Ukiyo-e peut d’ailleurs être traduit par « image de ce monde éphémère », ce qui correspond bien à ces réinterprétations modernes.

 

 La Courtisane d'après Eisen, Van Gogh, 1887.

Jimbocho fait vivre une expression picturale et scripturale bien vivante

Ce quartier de Chiyoda est parfois appelé Quartier-Latin de Tokyo. La nouvelle Edo y préserve tout ce que le Japon peut compter d’œuvres écrites, dessinées et peintes. Son nom provient de celui d’un samouraï, Nagaharu Jinbo, qui y vécut à la fin du 17ème siècle. Après un énorme incendie qui le ravagea en 1913, un universitaire du nom de Shigeo Iwanami y ouvrit une librairie qui deviendra plus tard la fameuse maison d’édition Iwanami Shoten. A l’instar du quartier rive-gauche de Paris Jimbocho devint rapidement le domaine réservé des intellectuels japonais qui s’y épanouissent dans ses nombreux cafés et les non moins nombreuses librairies. Un théâtre y a même été construit en 2007. Plus formellement appelé Kanda-Jimbocho, nom tiré de la rivière Kanda qui le parcourt, le quartier est proche d’universités tokyoïtes prestigieuses comme la Nihon Daigaku, la Senshu, la Meiji Daigaku, la Hosei et la Juntendo Daigaku.

Un bric-à-brac très organisé

Le visiteur en quête de savoir trouvera tout à Jimbocho. Les livres sont empilés rigoureusement partout à l’intérieur comme à l’extérieur de boutiques très colorées. De nombreux post-it de tous formats renseignent sur leur teneur et leur prix. Certaines échoppes sont spécialisées dans les livres étrangers, d’autres bien plus nombreuses dans les mangas. On y trouvera même des revues plus légères, voire licencieuses, et même des livres anciens prêts à être collectionnés. Le quartier abrite entre 150 et 180 librairies de toutes tailles. La plupart d’entre elles se situent dans la partie sud de la rue Yasukuni-dori. Deux autres rues sont d’importance ce sont Hakusan-dori, une rue transversale principale et Kandasuzuran-dori une ruelle située à l’est de l’artère principale. Vous pourrez trouver 7 magasins proposant à la vente de nombreuses oeuvres d'Ukiyo-e. Le panel de prix est très large, de quelques centaines de yens pour de petites reproductions jusqu'à plusieurs millions de yens pour les plus célèbres. De Hokusai à Yukiyoshi en passant par Hiroshige. Toutes ces boutiques proposent des catalogues (parfois payant, parfois non) dans lesquels sont illustrés les dernières acquisitions des magasins.

Un lieu de culture facile d’accès

Le quartier est un endroit très central de la ville de Tokyo, proche des jardins impériaux, et des quartiers réputés de Akihabara, Asakusa ou Shinjuku. Sa station de métro donne directement sur les première boutiques où l’on peut bouquiner à volonté. Avec la ligne Toei Mita on y parvient en 19 minutes et 270 yens en venant de Meguro. Depuis Shinjuku le trajet ne prendra que 9 minutes et coûtera 220 yens. Si l’on part de Shibuya il faudra 12 minutes sur la ligne Tokyo Metro Hanzomon et cela coûtera 200 yens. Une fois à destination les murs de la station, illustrés de livres géants et multicolores, vous confirmeront bien que vous êtes arrivé à Jimbocho.

L’endroit idéal pour s’imprégner de culture japonaise

En plus d’être le siège de la Société Japonaise de Préservation de la Littérature et de celui du Club de Reliure des Livres de Tokyo, Jimbocho est un concentré de culture japonaise à ne manquer sous aucun prétexte. Les écrits et les estampes des érudits du passé y côtoient les délires picturaux et scénaristiques des mangas du présent et même du futur. Cette culture japonaise est un perpétuel émerveillement car elle se renouvelle sans cesse sans jamais rien renier son riche héritage.

Related Articles